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Le pâturage des milieux semi-naturels sont-ils une voie pour faciliter l’installation et pour consolider un système fourrager économe ? Voici l'exemple de la Bretagne.

Au cours du XXème siècle, de nombreuses composantes du paysage ont été progressivement délaissées par l’activité agricole : pelouses, landes, prairies humides, littoraux… L’arrêt de l’utilisation de ces milieux par le pâturage conduit souvent à leur dégradation, voir à leur disparition. Les dynamiques « d’éco-pâturage » se développent pour entretenir ces écosystèmes qui participent à la biodiversité et à la beauté des paysages. Mais plutôt que de voir leur entretien comme une contrainte, ces espaces ne peuvent-ils pas constituer une opportunité pour installer des éleveurs en recherche de foncier, ou pour améliorer la résilience des exploitations ?

Le CIVAM du Finistère et le CEDAPA ont voulu creuser ces pistes en étudiant les systèmes mis en place par leurs groupes « pâturage de milieux semi-naturels ». Cette étude s’est appuyée sur des enquêtes réalisées chez les éleveurs de ces groupes. Nous vous présentons ici les principales conclusions.

 

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Milieux semi-naturels : de quoi parle-t-on ?

Nous définissons ici les milieux semi-naturels comme des écosystèmes caractérisés par une végétation spontanée (qui n’a été ni plantée ni semée par l’Homme) mais qui s’est établie à la suite d’activités humaines.

L’arrêt massif de la valorisation de ces milieux a des effets négatifs sur la biodiversité (perte d’espèces spécifiques), sur la diversité du paysage, ou encore sur la prolifération de plantes envahissantes et de ravageurs des cultures (sangliers par exemple).

Ces végétations qui se retrouvent sans usage peuvent également être détruites par un changement d’utilisation : des prairies permanentes peuvent être retournées, des landes plantées de résineux et des littoraux artificialisés.

Différentes trajectoires menant à l’utilisation de ces milieux.

  • Des exploitations laitières qui vont toujours plus loin dans l’autonomie et les économies de charges.

Les exploitations laitières familiales de petite à moyenne dimension (50 à 90VL sur 60 à 90ha), (souvent mises en avant par les CIVAM de Bretagne pour questionner leur modèle face aux crises laitières) ont cherché à atteindre un système plus économe et autonome. Elles sont donc passées à un système herbager dans les années 2000, allant progressivement jusqu’au système 100% herbe, puis se sont converties à l’agriculture biologique. Elles ont ensuite poussé leur transition en croisant leur cheptel pour avoir une génétique plus adaptée à ce système pâturant et économe (frisonne neozelandaise, jersiaise, rouge scandinave, normande…). En groupant leurs vêlages en fin d’hiver, elles ont adapté au maximum les besoins des vaches à la pousse de l’herbe. Enfin, satisfaites de leurs résultats, elles sont passées en monotraite pour limiter les temps d’astreinte, améliorer la fertilité des vaches et faciliter leur adaptation à des variations alimentaires. Les génisses, peu nombreuses (12% de renouvellement grâce à l’augmentation de la longévité), sont élevées sous vaches nourrices pour leur garantir une bonne santé, une croissance rapide et une adaptation précoce au pâturage tout en limitant le temps de travail.

 

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Vaches laitières au pâturage dans un sous-bois début mars

Toutefois, les principes de base du système herbager peuvent trouver leurs limites dans la valorisation de certaines prairies moins productives ou vieillissantes ainsi que dans des coûts de récolte d’herbe parfois élevés. L’utilisation saisonnalisée des milieux semi-naturels déjà présents sur l’exploitation s’est alors révélé être une opportunité pour poursuivre leurs économies de charges et consolider le système fourrager.

 

 

 

  • Des installations hors cadre familiale qui trouvent leur place sur les rebus de l’agriculture actuelle.

L’autre profil rencontré concerne des exploitations crées ou reprises plus récemment par des éleveurs et éleveuses souvent non-issus du milieu agricole. En effet, l’accès au foncier est difficile pour ces porteurs de projet. Les espaces délaissés par les autres exploitations, deviennent alors autant d'opportunités pour s'installer. Les parcelles ainsi acquises sont souvent de faibles surfaces  à faible potentiel agronomique, enfrichées ou épuisées par des pratiques exportatrices (fauche sans fertilisation).

 

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Réclamant peu d’investissements, cette machine à traire mobile est adaptée à un petit troupeau qui pâture des parcelles dispersées.

Face à ces contraintes, deux choix s’offraient à eux :

  1. acheter des aliments (foin de qualité, concentrés) pour compenser le manque de surface et la faible valeur fourragère des végétations présentes;
  2. se satisfaire d’une production plus faible en réduisant les charges tout en valorisant au maximum leurs produits.

Cette seconde option étant plus en accord avec leurs valeurs et avec le contexte économique, ils se sont lancés dans la valorisation des espaces qu’ils avaient à disposition.

Comment pâturer ces végétations ?

  • S’inspirer des systèmes pâturant pastoraux.

Pour (ré)apprendre à utiliser ces milieux, les groupes d’éleveurs sont allés chercher des savoirs-faire pastoraux divergeant des systèmes herbagers typiques du grand-ouest.

En effet, si les méthodes diffusées par André Voisin et André Pochon prennent en compte une adaptation du temps de retour selon les saisons, la ligne conductrice reste le pâturage d’une ressource la plus homogène possible tout au long de l’année : on cherche à maintenir des hauteurs d’herbe similaires toute l’année, à avoir des parcelles de même composition floristique et conduites de la même manière dans les cycles de pâturage. En résumé, l’idéal recherché est un printemps perpétuel.

 

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Les agnelles de plus d’un an ont de faibles besoins et se satisfont très bien d’une herbe épiée, de rumex et de chardons.

La vision du pastoralisme est tout autre : face à un environnement très variés, chaque type de végétation va être utilisé à un moment précis de l’année pour répondre à des besoins du troupeau qui varient eux aussi. Il s’agit donc de saisonnaliser le parcellaire et la conduite du troupeau. Cela implique une meilleure connaissance de la végétation afin de savoir quel sera le moment stratégique pour la pâturer au regard de son stade, des autres ressources disponibles et des besoins des animaux.

Ces groupes ont donc travaillé sur l'intégration de certaines logiques pastorales à leurs systèmes herbagers. Ils se sont réappropriés la compréhension de leurs milieux, leur diversité, et comment en tirer parti.

 

 

  • Adapter son troupeau : choix des races, élevage des jeunes.

Si ces éleveurs ont dû se former et changer leurs repères pour réinvestir ces milieux difficiles, il en va de même pour leurs animaux !

Quelle que soit l’espèce élevée, les agriculteurs ont axé la génétique de leur troupeau vers des animaux plus rustiques, capables de supporter des variations de régime alimentaire et de valoriser des fourrages grossiers. Les races choisies sont également d’une taille réduite afin de sélectionner des animaux capables de se déplacer facilement pour trouver leur nourriture, y compris dans des espaces embroussaillés ou dans des zones humides peu portantes.

Pour les éleveurs herbagers en filières longues qui cherchent essentiellement à intégrer des prairies humides et des bois à leur circuit de pâturage, ainsi qu’à limiter le recours aux bâtiments, les croisements courants en systèmes pâturant autonomes restent adaptés (jersiaise, rouge scandinave…).

Pour les systèmes avec de plus petits troupeaux et de la vente directe (notamment les nouveaux installés hors cadre familial), la part des milieux semi-naturels est plus importante et les végétations plus difficiles à valoriser. Le choix s’est alors porté sur des races anciennes moins productives mais très rustiques : vaches bretonnes pie noir, chèvres poitevines ou brebis landes de bretagne par exemple. Ces races sont également à l’origine de produits de qualité et à forte typicité qui ne peuvent être valorisés en circuit long mais qui trouvent des débouchés spécifiques en vente directe.

La génétique du troupeau ne suffit cependant pas pour qu’il soit adapté à cette conduite : l’élevage et l'éducation des jeunes est une étape déterminante dans la valorisation de ces végétations variées et peu appétentes.

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Génisses pâturant des stocks sur pied au fil avant.

Les jeunes femelles ont accès aux ressources fourragères les plus riches pendant leurs premiers mois de croissance, mais passé ce délai, elles seront confrontées à une diversité de végétations naturelles pour développer leur capacité d’ingestion et leur appétence pour les fourrages grossiers. D’autres pratiques permettent de favoriser les transferts de connaissance entre les adultes et les jeunes : l’élevage sous vaches nourrices, ou la « retraite » d’une femelle de réforme dans un lot de jeunes. Grâce à cette éducation, les éleveurs ont parfois été surpris de la capacité d’adaptation d’animaux qui n’ont a priori pas une génétique conçue pour ce mode d’élevage : on peut trouver quelque fois une holstein qui supporte le plein air intégral !

 

Que peut-on attendre de ces pratiques ?

  • Préservation de milieux et de races patrimoniales

Un des premiers bénéfices cités pour les territoires est la préservation ou la restauration de milieux emblématiques du paysage et abritant une biodiversité spécifique. Un certain nombre d’éleveurs des groupes « pâturage des milieux semi-naturelles » exploitent des parcelles en convention avec le conservatoire du littoral, le conservatoire d’espaces naturels ou les collectivités territoriales : l’utilisation de ces parcelles est donc réfléchie pour concilier au mieux l’intérêt fourrager pour le troupeau et la protection de la biodiversité.

Enfin, ces systèmes reposent parfois sur des races rustiques locales : le développement de ces pratiques participe donc à la préservation et au déploiement de races qui sont menacées par la faiblesse de leurs effectifs. Au-delà de l’enjeu patrimonial, il parait essentiel de conserver le patrimoine génétique de ces races qui pourra être fort utile pour faire évoluer la qualité des produits et pouvoir adapter les élevages français au changement climatique en cours.

  • Sécuriser son système fourrager face aux aléas climatiques

 

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Les landes sont adaptées au pâturage hivernal : les sols sableux restent portants, les ajoncs et les ronces constituent des abris contre le vent et sont consommés par les animaux à cette période.

 

Si ces milieux sont aujourd’hui considérés comme peu favorables aux productions agricoles, ils étaient d’une grande valeur par le passé. Leur diversité et leur complémentarité jouaient et pourront jouer un rôle de sécurité face aux aléas climatiques. Etant donné que la fréquence et l’intensité des événements météorologiques sont amenées à augmenter dans les années à venir, il parait pertinent de retrouver cette fonction des milieux semi-naturels. Il faut réapprendre à les utiliser : Une prairie de fond de vallée pourra rester verte plus longtemps en cas d’été sec, des zones arborées abritent les animaux du soleil, des landes très portantes pourraient être pâturées l’hiver. Les éleveurs de ces groupes sont également nombreux à utiliser les stocks sur pieds, qu’ils valorisent plus facilement grâce à l’éducation des animaux, et à utiliser les arbres comme fourrage d’appoint en été.

 

Des systèmes très peu dépendants des intrants qui affichent une bonne efficacité économique

L’analyse technico-économique de ces systèmes révèle des niveaux de charges très faibles : les coûts de mécanisation et la consommation de carburant sont réduits grâce à une conduite majoritairement en plein air et à un recours minimal aux stocks, les achats de concentrés sont nuls ou minimes et les frais vétérinaires sont très faibles également.

Le résultat est une efficacité économique supérieure à tous les autres systèmes analysés dans le territoire d’étude (élevages laitiers de différentes tailles, bio et conventionnels, élevages de porcs et de volaille). L’efficacité économique est le rapport de la valeur ajoutée sur le produit brut : elle représente donc la part de la richesse produite qui n’a pas été perdue dans le processus productif. Les systèmes d’élevage modélisés à partir des exploitations des groupes CIVAM « pâturage des milieux semi-naturels » atteignent une efficacité économique comprise entre 64 et 74%, alors qu’elle dépasse rarement 50% pour les autres systèmes étudiés.

Ainsi, pour les élevages laitiers, la valeur ajoutée créée par hectare des systèmes CIVAM est comparable ou supérieure à celle des autres exploitations produisant davantage de lait.

Ces systèmes sont également moins dépendants des aides que ceux élevant les mêmes animaux.

Un levier pour l’installation : oui, mais sous certaines conditions !

A la lumière de ces éléments précédents, il peut être tentant de voir les surfaces de végétations naturelles délaissées comme des réserves de foncier pour installer de jeunes éleveurs et éleveuses, créateurs d’emplois et de richesses sur le territoire, produisant une alimentation de qualité et préservant la biodiversité sauvage et domestique.

Pour autant, un certain nombre de ces systèmes développés lors d’installations hors cadre familial voient leur capacité à dégager un revenu suffisant assez faible en dépit de la valeur ajoutée créée par hectare.

On peut supposer que l’une des raisons à cela est que ces exploitations n’ont pas accès à des surfaces suffisamment grandes et ayant une productivité suffisamment élevée pour exploiter tout le potentiel de leur système.

Selon ces groupes, il est donc important que les opportunités que constituent les espaces sous-utilisés pour l’installation ne soient pas perçues comme un moyen d’esquiver le problème du partage du reste du foncier agricole !

 

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