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 Rencontres entre ornithologues et agriculteurs

La disparition des oiseaux : l’intensification des pratiques agricoles et la perte des ressources alimentaires sont pointées du doigt

Depuis quelques années, un sujet alarmant fait de plus en plus l’actualité : certaines populations d’oiseaux dans les campagnes se portent mal. Que se passe-t-il pour ces espèces ? Et que peut-on faire pour limiter ce déclin ?

De nombreuses études ont été menées pour connaître l’ampleur de ce phénomène. Un programme en particulier a étudié les variations spatiales et temporelles des populations nicheuses d’oiseaux communs : le Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC) [1].


En 2020, ils ont pu publier les résultats de 30 années de suivis. Cette synthèse [2] montre que « la chute la plus importante concerne les oiseaux spécialistes des milieux agricoles (-29,5%). Cette forte disparition est concomitante de l’intensification des pratiques agricoles ces dernières décennies, plus particulièrement depuis 2008-2009. Une période qui correspond entre autres à la généralisation des néonicotinoïdes, insecticides neurotoxiques très persistants, à la fin des jachères imposées par la politique agricole commune, à la flambée des cours du blé et à la reprise du sur-amendement au nitrate permettant d’avoir du blé surprotéiné. »

En ce qui concerne les insectes, une étude allemande estime qu’en trente ans, près de 80 % des insectes auraient disparu en Europe. « Nos résultats documentent un déclin dramatique des insectes volants, de 76 % en moyenne et jusqu’à 82 % au milieu de l’été, dans les aires protégées allemandes, en seulement vingt-sept ans, écrivent les auteurs du rapport. Une autre analyse, publiée dans la revue Biological Conservation[3], croise 73 études portant sur l’état de la faune entomologique. Ses résultats sont aussi alarmants : plus de 40% des espèces d’insectes sont menacées d’extinction. Et cela ne concerne pas que des espèces ultraspécialisées vivant dans un milieu très spécifique mais également des espèces beaucoup plus communes. Leurs prédateurs (notamment les oiseaux insectivores) sont très affectés par cette perte de leurs ressources alimentaires.
La perte des habitats liée à l’intensification de l’agriculture est identifiée comme la raison principale de ce déclin. Les produits agro-chimiques sont également mis en cause. L’enrobage des graines, les produits désherbants et même les vermifuges rentrent dans les cycles biologiques et touchent les oiseaux soit directement, soit sur leurs ressources alimentaires.


Les éleveurs herbagers du Réseau des CIVAM normands s’emparent de la question


Conscient de l’enjeux et du rôle qu’ils ont à jouer, des éleveurs des groupes CIVAM du Bocage Virois (14), AREAS (50) et APAD (50) se sont formés ce printemps grâce à l’intervention du GONm (Groupe Ornithologique Normand). Ainsi, pour le groupe du Bocage Virois, c’est Jean Collette (adhérent, responsable du réseau des refuges du GONm) qui est venu une matinée sur la ferme de Lucie et Colin à Montchauvet (14). L’objectif de cette rencontre était d’apprendre à reconnaître quelques espèces au cours de la visite, de montrer les liens qui existent entre les oiseaux et les activités agricoles et de réfléchir aux pratiques qui peuvent favoriser l’avifaune.

Pour Jean Collette, une ferme, qu‘elle soit du Pays d’Auge, du Pays de Bray ou du Bocage Normand, est toujours une mosaïque d’habitats façonnés par l’homme. Un « habitat » est le milieu qu’une espèce sauvage va occuper que ce soit pour se cacher, se nourrir, se reproduire… Plus les habitats sont diversifiés, plus différentes espèces sauvages (faune et flore) viendront y trouver refuge. Cette diversité d’espèces est nommée la « biodiversité ». Chaque ferme est originale selon ce qu’elle offre comme habitat : pierre ou torchis des murs, charpente, haie, mare, prairie, culture, verger, chemin, rivière. Elle accueille donc une liste d’oiseaux originale.

Connaître les gestes qui préservent la variété des habitats


Champ Pays de Bray2006©JFLange (10) RDe par ses productions à la ferme, son calendrier et ses pratiques d’intervention (et souvent les non-pratiques !), l’agriculteur permet ou empêche la biodiversité de s’exprimer.

En Normandie, les sols agricoles représentent près de 70% du territoire régional (les sols artificialisés représentent 9% du territoire et les forêts 14%). Le choix de pratiques agricoles respectant les cycles biologiques naturels est donc primordial pour la biodiversité. C’est l’ensemble de ces choix qui va laisser plus ou moins de place à la nature, à « la part sauvage du monde ».
Lors des formations sur les différentes fermes, les paysans ont pu échanger sur de nombreux exemples : passer le broyeur au pied de la haie en mai détruit à coup sûr tous les nids du pouillot véloce, abattre le vieux têtard plutôt que le recéper en tête empêche toute nouvelle nidification de la chouette chevêche. Alors qu’au contraire, maintenir des vieux pommiers riches en cavités assurera fréquemment la présence du rouge queue à front blanc…

La non-intervention est souvent très intéressante pour la biodiversité. Ainsi, laisser en place un roncier d’angle là où la machine ne passe pas permet l’installation de la fauvette des jardins. Abandonner le tronc mort au pied de la haie s’il ne gêne pas, c’est laisser une chance à toute une chaine de vie spécifique. Cette dernière ne peut exister que si elle trouve ce bois mort devenu si rare.

 

 

 

Rougequeue a Front Blanc Credits GONm

Figure 1 Rouge queue à front blanc GONm/F. Letellier

Avoir une diversité de milieu et une continuité des espaces préservés


Ce qui est ressorti de tous ces échanges, c’est que, d’une manière générale il n’y a pas de « bon modèle ». Les différents modes de gestion des prairies et des haies correspondent à des espèces différentes.
Les haies anciennes, multi-stratifiées, avec leurs arbres âgés riches en cavités, sont ainsi particulièrement importantes. Et cependant, maintenir une haie nouvellement plantée basse (à cause de fil électrique par exemple), sera bénéfique pour d’autres comme le bruant jaune qui y trouvera un habitat tout à fait favorable pour lui.

L’idéal est d’avoir une diversité de milieu sur sa ferme et une continuité des espaces préservés. En effet, ces derniers doivent être continus ou reliés entre-eux pour favoriser l’effet refuge.

Et comme le souligne un éleveur pâturant : « Ce qui est important, c’est le changement de regard sur ces zones peu productives (friches, arbres morts, zones humides…). Aujourd’hui, je considère ma parcelle de bord de rivière comme une des plus belles de ma ferme ! »

Bruant Jaune Credits GONm C.Ghestin

Figure 2 Bruant jaune crédit photo GONm / C.Ghestin

 

GroupeOrnithologiqueNormand Logo Le Groupe ornithologique normand regroupe près de 1000 adhérents sur les 5 départements normands depuis 50 ans. Les bénévoles étudient les oiseaux sauvages de notre région en particulier à partir d’enquêtes menées sur le long terme. Une équipe de 11 salariés épaule les adhérents notamment pour la gestion des réserves (Chausey, Vauville, marais de Carentan, Grande Noë…)
Les observations servent à mieux connaître, faire connaitre et protéger notre avifaune.
Le GONm protège les oiseaux sur 27 réserves en Normandie, soit 740 ha dont 320 en propriété. Le réseau des refuges (plus de 300 actuellement) permet d’entretenir des contacts personnels avec des filières professionnelles intéressées (carrières, filière équestre, fermes bio) et de nombreux particuliers.