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Décryptage du Réseau des CIVAM normands

 

* Un glossaire est présent à la fin pour tous les acronymes de l'article.

La prochaine réforme de la PAC entrera en vigueur au 1er janvier 2023, après deux années de prolongation de la précédente programmation de la PAC (en 2021 et 2022). Une grande nouveauté de cette PAC est la mise en place des Plans Stratégiques Nationaux (PSN) : très gros document dans lequel le pays doit décrire toutes les modalités de mise en œuvre de la prochaine PAC sur son territoire. En effet, pour cette prochaine PAC, chaque Etat membre sera plus libre dans la mise en œuvre de la PAC et pourra adapter les règles et mesures de soutiens à ses besoins.

Dans cet article nous vous proposons de faire un point sur ce qu’on sait de la prochaine PAC, ce qu’on ne sait pas encore et qui doit être négocié, ainsi que certaines réactions et propositions clés du réseau CIVAM et du collectif Pour une autre PAC. Pour plus d’info sur la nouvelle PAC et les propositions du collectif Pour une autre PAC, rendez-vous sur : https://pouruneautrepac.eu/

Tout d’abord, où en est-on dans les négociations et le calendrier ?

Pour rappel, voici les principales étapes (passées et à venir) de la mise en œuvre de la nouvelle PAC :

  • Eté 2018 : première proposition de la Commission Européenne (CE)
  • 2019 : lancement du diagnostic du PSN en France et du débat public
  • 2020 : lancement du plan de relance, vote du budget de l’UE (donc de la PAC)
  • Début 2021 : reprise des trilogues (entre la Commission, le Parlement et le Conseil Européen), lancement de la concertation technique sur le PSN en France
  • Printemps 2021 : concertations techniques sur le PSN, fin des trilogues fin juin
  • Eté 2021 : première version du PSN Français envoyé à l’UE et évaluation du PSN Français par l’Autorité Environnementale
  • Novembre 2021 : finalisation de la contribution des régions au PSN
  • Décembre 2021 : dépôt du PSN final
  • 2022 : instrumentation législative de la PAC
  • Janvier 2023 : mise en œuvre de la nouvelle PAC

Structure générale de la PAC et budget : qu’est ce qui change ?

Pour vous aider à vous y retrouver dans cet article, voici un schéma résumant la structure de la future PAC :

PAc schema1

 

Source : https://agriculture.gouv.fr/psn-pac-definition-du-plan-strategique-national

Un budget finalement constant pour la France

Bien que la Commission Européenne ait initialement proposé une forte baisse du budget français pour la PAC, les négociations ont finalement abouti à un maintien du budget PAC alloué à la France. Dans le détail, il y a un transfert avec une légère baisse du budget du premier pilier et une légère augmentation de celui du second pilier.

Une première version du PSN (Plan Stratégique National) présentée cet été

Après plusieurs mois de négociation, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, a annoncé ses arbitrages le 21 mai et le 13 juillet dernier. Si la version finale du PSN n’est pas encore sortie (le Ministre rendra prochainement disponible aux parties prenantes la version rédigée cet été), ces arbitrages politiques forment déjà le socle de ce à quoi ressemblera la future PAC. Il ne s'agit pas d'un PSN complet dans la mesure où il manque notamment le détail de ce que voudront faire les Régions. Celles-ci se laissent jusqu'à fin novembre pour le déterminer, après avoir organisé des consultations régionales. 

Cette première version de PSN a été soumis cet été à l’Autorité environnementale pour qu’elle rende un avis dans un délai de trois mois. Cette étape obligatoire inscrite au Code de l’environnement est un préalable à la soumission officielle du PSN à la Commission, attendue pour le 31 décembre 2021 au plus tard.  Sur cette base, des échanges formels entre la Commission européenne et la France sont prévus au premier semestre 2022, un processus qui permettra à la France d’affiner sa copie de départ avant une validation définitive.

La Commission Nationale du Débat Public et le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (MAA) organiseront début octobre par visioconférence un atelier participatif sur le PSN.

Du changement dans le rôle des Régions : un périmètre d’action plus restreint mais plus d’autonomie

Grand changement de cette nouvelle PAC, le champ des compétences des Régions évolue :

Alors que, jusqu’en 2022, les Régions sont autorités de gestion de tout le second pilier de la PAC mais soumises au respect d’un cadre national étatique, elles deviendront à partir de 2023 autorités de gestion uniquement pour les aides non surfaciques du second pilier mais avec une pleine autonomie sur ces quelques mesures. Il s’agit des aides à l’investissement, des aides à l’installation (la Dotation Jeune Agriculteur, DJA), de la mesure forêt, LEADER, ainsi que des mesures formation et coopération. Dans ce cadre, les Régions participent à la rédaction du PSN pour les interventions dont elles ont la compétence. En résumé, les Régions ont perdu en périmètre de compétence mais gagné en autonomie.

L’État, quant à lui, gérera les mesures surfaciques du second pilier, notamment les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), la conversion en agriculture biologique (CAB) et l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN). L’État gérera également l’aide à la gestion des risques et la mesure prédation.

Du changement dans l’organisation du premier pilier, mais pas de bouleversement majeur

Le Paiement vert disparait, mais ces mesures sont intégrées dans la conditionnalité

Le paiement vert (les mesures SIE, diversification des cultures et maintien des prairies permanentes qui conditionnaient 30% du paiement de base) disparait dans la nouvelle PAC. Cependant, son contenu ne disparait pas totalement car il est en grande partie intégré aux mesures de conditionnalité (ce qu’on appelle aussi les BCAE : Bonnes Conduite Agricole et Environnementale), mesures obligatoires pour être pleinement éligible aux paiements de la PAC.

On retrouvera donc dans la conditionnalité : le non-retournement des prairies permanentes appliqué à l’échelle régionale et la diversification des cultures. L’ancien critère de maintien d’infrastructures non-productives (les SIE, Surfaces d’Intérêt Ecologique) évolue avec deux options au choix de l’agriculteur : un minimum de 4% d’infrastructures agroécologiques (IAE) (haies, arbres, etc.) ou un minimum de 7% de surfaces d’intérêt écologique (incluant les dérobés et les cultures fixatrices d’azote) dont 3 % d’IAE (haies, arbres, etc.).

Un nouveau dispositif fait son apparition : l’éco-régime

Une des nouveautés majeures de cette nouvelle PAC c’est l’apparition des “Eco-dispositifs” (ou “Ecoscheme” en jargon bruxellois) dans le premier pilier. Le cadre européen prévoit une enveloppe globale de cet éco-dispositif de 25% du premier pilier minimum (avec possibilité de n’y consacrer que 20% les deux premières années). Cette aide doit répondre à au moins un des trois grands objectifs environnementaux de la PAC. Elle est conditionnée au respect de pratiques agricoles allant au-delà des exigences de la conditionnalité et différentes de celles financées dans le cadre des mesures agro-environnementales et climatiques (second pilier).

A ce stade, la proposition du ministère français de l’Agriculture prévoit les arbitrages suivants pour cette mesure :

  • Un budget de 25 % prévu dès 2023 avec flexibilité en cas de non-dépense de l’ensemble de l’enveloppe.
  • Un éco-régime inclusif, dont les critères d’accès sont fixés de sorte à rendre éligibles le maximum de fermes : le ministère a annoncé que 100 % des éleveur·euse·s de ruminants et 80 % des fermes céréalières seraient éligibles d’emblée.
  • Pas de rémunération du bien-être animal (rejetant ainsi la proposition du collectif Pour une autre PAC pour inclure cet enjeu dans l’éco-régime)
  • Trois voies d’accès non cumulables (pratiques, certification et IAE) avec deux niveaux de rémunération (54 et 76 euros par hectare).
  • Certifications HVE et AB rémunérées de manière équivalente au niveau 2
  • Bonus « haies », accessible aux agriculteur·rice·s ayant 6 % de haies sur leur ferme, et souscrivant à la voie des pratiques ou de la certification

Le tableau ci-dessous résume la proposition du ministère de l’Agriculture (source : adapté de Pour une autre PAC) :

 PAc schema2

Des évolutions dans les aides couplées animales et végétales

Concernant les aides couplées animales, le ministère de l’Agriculture a fait les choix suivants :

  • Allocation des aides couplées à l’UGB pour les animaux de plus de 16 mois (permettant ainsi d’éviter d’attribuer l’aide couplée à des jeunes bovins destinés à l’export)
  • Fusion des enveloppes pour les aides couplées bovins lait et bovins viande mais distinction entre deux catégories d’UGB, correspondant à deux niveaux de prix, soit 104 euros par UGB allaitante et 57 euros par UGB laitière.
  • Aides couplées allouées sans condition jusqu’à 40 UGB primables en élevage laitier et jusqu’à 120 UGB primables en élevage allaitant avec un taux de chargement maximal de 1,4 UGB primables calculé à la surface fourragère

Pour ce qui est des aides couplées végétales, les choix du ministère sont les suivants :

  • Augmentation progressive de l’enveloppe réservée aux légumineuses pour atteindre +75 % de budget en 2027, en privilégiant les légumineuses à graines (notamment à destination de l’alimentation humaine)
  • Création d’une aide couplée « petit maraîchage » au bénéfice d’une petite partie des fermes maraîchères et maintien des aides pour les fruits et légumes destinées à la transformation industrielle.

La création d’une aide couplée pour le petit maraîchage est positive pour ce secteur, mais la faiblesse de l’enveloppe allouée ne permettra probablement de soutenir qu’une infime minorité des fermes produisant effectivement des fruits et légumes. Selon le collectif Pour une autre PAC, « la faible ampleur de cette nouvelle mesure ne la rendra pas en capacité de développer significativement la production de fruits et légumes frais, bénéfique pour la santé, mais que nous importons aujourd’hui à hauteur de 50 % ». De plus, « l’exclusion de l’arboriculture de cette mesure est très regrettable, sachant que cette production est largement en déclin en France ».

Second pilier : des premiers arbitrages nationaux en continuité de la PAC actuelle

Indemnité compensatoire de Handicap Naturel (ICHN)

L’arbitrage opéré par le MAA est celui d’un statu quo sur cette mesure. A noter que le taux de cofinancement européen a baissé sur l’ICHN, ce qui signifie que c’est l’État qui va abonder l’ICHN à hauteur de 108 millions d’euros par an supplémentaires pour maintenir son budget.

L’aide à la conversion à l’agriculture biologique

Les choix du ministère sont les suivants :

  • Augmentation significative de l’enveloppe pour couvrir un objectif de 18 % de SAU bio en 2027
  • Maintien de montants différenciés selon les productions

Les mesures agro-environnementales

Le ministère de l’Agriculture a fait de choix de maintenir le même budget que sur la PAC précédente sur ce dispositif, visant l’accompagnement de transitions systémiques sur les fermes, mais également la mise en place de pratiques localisées favorables à la biodiversité.

Dans le détail, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation propose :

  • Des MAEC découpées par enjeux : Eau, Biodiversité, Sol/climat/bien-être animal
  • Des MAEC localisées
  • Des MAEC Systèmes, mais pas toujours très systémiques :
    • Engagement de 90% de l’exploitation
    • Des cahiers des charges qui s’appliquent à un type particulier de surface
  • Pour la polyculture élevage :
    • Une MAEC Système enjeux Eau polyculture élevage avec CDC portant surtout sur les cultures (ciblages ZI)
    • Une MAEC Système enjeux climat dans la lignée de la SPE
    • Une MAEC Système enjeux biodiversité dans la lignée de la SHP (systèmes pastoraux)
    • Pas de MAEC dédiée au maraichage diversifié (malgré une proposition en ce sens du collectif Pour une autre PAC)
  • Une déclinaison des MAEC dans des PAEC comme aujourd’hui mais un pilotage national via les DRAAF (le collectif Pour une autre PAC a défendu lui la suppression du zonage de cette mesure afin de permettre à chaque agriculteur.trice volontaire d’engager son exploitation dans un changement de système via une MAEC)
  • La possibilité de mise en place de MAEC de « transition » forfaitaire porté par les Régions.

Ainsi, le ministère a fait de choix de mesures ciblées selon les enjeux (Eau, Biodiversité, Sol/climat/bien-être animal), plutôt que mettre en œuvre des mesures accompagnant des changements de systèmes avec une logique de progression. Ce choix est dénoncé par le collectif Pour une autre PAC : « le volume de l’enveloppe rend impossible la nécessaire massification de la mesure MAEC système, pourtant outil principal pour favoriser les changements de systèmes, permettant notamment aux agriculteur·rice·s d’accéder à l’éco-régime dans une logique de progression. De plus, l’entrée par enjeu, et non plus par système, risque de détricoter le contenu des MAEC système, et ce alors même que le montant de certaines vont baisser. Les décisions relatives aux MAEC, combinées à celles sur l’éco-régime, laissent un véritable trou dans la raquette dans la prochaine PAC : il n’y aura toujours pas d’outil calibré pour viser une vraie réduction des pesticides et des engrais azotés, ni une transition des systèmes intensifs d’élevage. ».

Pour finir, le Réseau CIVAM s’inquiète de la potentielle disparition de la catégorie “Prairie en Rotation Longue”, autrement dit les prairies de plus de 5 ans qui rentrent dans les rotations. Pourtant, ces prairies, qu’on laisse vieillir tout en les inscrivant dans des successions culturales cohérentes, apportent une diversité de bénéfices environnementaux bien au-delà du stockage du carbone. De plus, les prairies en rotation longue représentent un levier agronomique majeur pour les fermes en polyculture qui ont souscrit à la MAEC SPE actuelle. Supprimer la catégorie PRL (Prairies en Rotation Longue) reviendrait à ne plus considérer que les prairies temporaires de moins de 5 ans d’une part et que les prairies permanentes d’autre part. Pour mémoire, le cahier des charges actuel de la SPE intègre ce point de blocage puisque pour les prairies engagées en SPE, le compteur d’âge de la prairie était suspendu le temps du contrat pour ne pas pénaliser ceux qui augmenteraient leur surface en herbe et, par corrélation, la durée de vie de leurs prairies.

Aides à l’installation 

Le budget dédié aux aides à l’installation dans le second pilier, permettant de financer la DJA, a été augmenté de 33 millions d’euros dans le but d’accompagner 7500 installations par an d’ici 2027.

Par ailleurs, le PSN inclura une définition du « nouvel installé », en plus de celle du « jeune agriculteur ». Cela permettra aux Régions qui le souhaitent de proposer une Dotation Nouvel Installé (DNI) aux personnes de plus de 40 ans.

Aides à l’investissement

A ce stade sur les aides à l’investissement, le ministère a annoncé un maintien du budget actuel et laisse aux Régions la possibilité de réaliser les autres arbitrages (hors budget) sur cette mesure (ex. investissement éligible, conditions, etc.). L’évolution de cette mesure est donc encore très floue à ce stade.

Autres mesures

Gestion des risques : Augmentation du budget pour l’aide à l’assurance récolte (passe de 150 à 186 millions d’euros).

Coopération, formation et LEADER : Arbitrages hors budget à la discrétion des Régions

 PAc schema3

Source : schéma adapté de Pour une autre PAC

 

 

Glossaire :

AB : Agriculture Biologique

BCAE : Bonnes Conduite Agricole et Environnementale

CAB : la conversion en agriculture biologique

CDC : Cahier des Charges

DRAAF : Direction Régionale de l'Agriculture, l'Alimentation et la ForetHVE : Haute Valeur Environnementale

IAE : Infrastructures Agro-écologiques

ICHN : l’indemnité compensatoire de handicap naturel

JA : Jeunes Agriculteurs

LEADER : Liaison Entre Action de Développement de l'Economie Rurale

MAA : Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation

MAEC : mesures agroenvironnementales et climatiques

MAEC SPE : Mesures Agro-environnementales et Climatiques "Système Polyculture Élevage" (avec différents niveaux 12%, 18% 28% selon la part maximale de maïs)

MAEC SHP : Mesures Agro-Environnementales et Climatiques Systèmes Herbagers et/ou Pastoraux

PAEC : Projet Agro-environnemental : projet porté en partenariat avec les acteurs du territoires décrivant les enjeux du territoire et la liste des MAEC mobilisable sur le territoire

PSN : Plan Stratégique National

SIE : Surfaces d’Intérêt Ecologique

UGB : Unité Gros Bovins

ZI : Zones Intermédiaires (généralement dans les zones moins peuplées qui ne sont ni des plaines ni des montagnes)