Cette question, un peu provocatrice illustre bien les questionnements liés au changement climatique. Dans ce contexte de sécheresses estivales où de plus en plus de pâtureurs se posent la question de valoriser l’herbe d’hiver, le projet Perpet a tenté de répondre aux interrogations de ces derniers. Plusieurs freins sont souvent évoqués comme la quantité d'herbe à pâturer ou le risque d'abimer les prairies...
Perpet a suivi des prairies en hiver pendant 4 ans
Pendant 4 ans, le projet Perpet a scruté à la loupe et à l'herbomètre 2 types de prairies : certaines au repos et d’autres pâturées pendant l’hiver. Et le résultat est sans appel : il est possible de pâturer l’hiver sans limite mais à certaines conditions !
Quelles sont ces conditions ?
- Adapter le chargement instantané (en moyenne 45 UGB/ha) et/ou la durée de séjour (entre 1 et 3 jours) et/ou le type d’animaux ;
Deux conduites sont alors possibles : un chargement important pendant une courte durée (exemple : 66 UGB/ha pendant 0,6 jour) ou un chargement moins important mais plus longtemps (exemple : 27 UGB/ha pendant 1,5 jour).
- Sortir les animaux dans des conditions météo adéquates : après 5 jours peu pluvieux (<3,5mm/jour) et en l’absence de gel ;
- S’assurer de la portance du sol : enfoncement des pieds limité et pas d’eau en surface.
Quelle quantité d’herbe est-il possible de valoriser pendant l’hiver ?
En moyenne, il est possible de récupérer 400 kgMS/ha pendant l’hiver. Et au maximum jusqu’à 1,6 à 1,8 tMS/ha ! Sur une même prairie, la quantité d’herbe pâturée en hiver représente en moyenne 6-7% de l’herbe totale valorisée sur l’année (et jusqu’à 23%).
Quand peut-on pâturer ?
Le 
pâturage peut commencer très tôt, dès janvier. La moitié des prairies suivies dans le projet Perpet ont été pâturées avant le 31 mars. Temps de présence moyen : 3 jours. Temps de retour moyen : 34 jours. Ce passage rapide sur toutes les prairies prépare avant tout la saison de pâturage. Cette première intervention précoce a de nombreux avantages :
- Créer un décalage de pousse entre les paddocks pour mettre en place le pâturage tournant ;
- Nettoyer les prairies ;
- Favoriser le tallage des graminées ;
- Pâturer ras pour donner de la lumière au trèfle.
Le pâturage peut se terminer tard, jusqu’en décembre.
Dans l’étude du projet Perpet, la moitié des prairies ont été pâturées après le 11 novembre et certaines jusqu’au 31 décembre.
Quel temps de retour moyen ?
La pousse de l’herbe ralentit l’hiver, c'est pourquoi, les temps de retour entre 2 pâturages hivernaux sont en moyenne de 57 jours. Mais de fait, toutes ces prairies pâturées l’hiver ont eu au moins un cycle de repos de 76 jours en moyenne.
Quelle nature de sol permet de pâturer l’hiver ?
Les prairies suivies dans le cadre du projet Perpet présentent des natures de sol variées : sols drainants à bonne structure mais aussi des sols argileux (18 à 25%) à tendance hydromorphe. Aucun effet de compaction n’a été observé suite au pâturage hivernal.
Mais les parcelles choisies par les éleveur.euse.s ont une densité racinaire importante en profondeur, ce qui améliore la portance.
Quel impact du pâturage hivernal sur la flore et la qualité d’herbe ?
Sur les années de suivi du projet PERPET, aucune différence de composition floristique, d’apparition d’adventices, de teneur azotée de l’herbe et de densité d’herbe n’a été observée entre les parcelles pâturées l’hiver et les parcelles témoins.
Le pâturage hivernal en pratique :
A l’occasion de la journée technique sur le pâturage hivernal organisée par le Réseau CIVAM, le 27 janvier 2023, plusieurs éleveurs pratiquant le pâturage hivernal ont pu faire part de leurs retours d’expériences.
En voici quelques extraits :
Témoignage d’un éleveur de la Sarthe : 85 ares accessibles/VL
- Quels sont tes objectifs derrière le pâturage hivernal ?
« Pâturer en hiver me permet de nettoyer les parcelles de l’herbe d’automne et d’écrêter le pic de pousse de l’herbe au printemps. Je pense valoriser la même quantité d’herbe sur l’année, mais je remplace des surplus d’herbe stockés au printemps par de l’herbe pâturée l’hiver. » - Quels sont tes critères pour le pâturage hivernal ?
« Je fais pâturer une parcelle si on ne voit plus les bouses du dernier passage et s’il y a suffisamment d’herbe pour laisser les vaches 24h en plat unique. »
Témoignage d’un éleveur du Sud Sarthe : terrain sableux à argilo-calcaire | 63 ha | 30 VL | 90 ares accessibles/VL
- « En 2020, première année où j’avais réussi à grouper tous mes vêlages au printemps et à fermer la salle de traite l’hiver, j’ai fortement subi les conséquences de la sécheresse. Même mes prairies multi-espèces à base de fétuque, luzerne, trèfle violet, trèfle blanc et plantain poussaient difficilement sur mes sols séchants. Les stocks sur pied pouvaient me permettre de limiter l’affouragement, mais la qualité n’était pas idéale pour produire du lait. J’ai alors décidé de changer de système en groupant mes vêlages à l’automne : je fermerai la salle de traite cet été 2023. »
- Quelle est la place de l’herbe pâturée dans la ration hivernale ?
« Du vêlage à mi-avril, les vaches pâturent une herbe riche en eau et en MAT qui complète bien un foin de bonne qualité pour faire du lait.
L’hiver, le pâturage représente entre 1/3 et 1/2 de la ration, et les vaches reçoivent 700g d’avoine par jour en plus du foin. L’été, les taries se satisfont très bien des stocks sur pieds, et je recommence à affourager vers fin août. » - Quelle sont les limites du pâturage hivernal ?
« C’est vrai que ce n’est pas toujours agréable de travailler plus l’hiver, mais grâce au pâturage hivernal, je n’ai à pailler qu’un jour sur deux. Il faut également veiller à avoir de bons chemins ! »
Témoignage d'un éleveur du sud de l'Ille-et-Vilaine : 57ha | 60 VL | 70 ares accessibles/VL | 5500-6000L/VL en 100% herbe et 0 concentré
« Mes vêlages sont groupés début août : je trouve que l’herbe dure est adaptée à leur métabolisme après le vêlage, et elles repartent bien en lactation au printemps ».
- Quelle est la place de l’herbe pâturée dans la ration hivernale ?
« Depuis quelques années, mes vaches pâturent tout l’hiver, entre 1h et 7-8h par jour. Les vaches consomment quasiment la même quantité d’enrubannage à l’auge qu’elles sortent ou non. En revanche, les jours où elles sortent à l’herbe, j’observe une augmentation de la production de lait par vache, jusqu’à 1,5l de lait en plus ! » - Quels sont tes critères pour le pâturage hivernal ?
« Les vaches sortent uniquement quand ce n’est pas gelé. J’observe des retards de pousse sur les paddocks pâturés quand il y avait du gel. En revanche, sur de vieilles prairies, j’accepte de diminuer mes critères de portance : il est arrivé que mes vaches s’enfoncent quasiment jusqu’au jarret… Je trouve moins grave d’abîmer des prairies en hiver, qui vont réussir à se refaire au printemps, que d’abîmer une prairie en avril où les conséquences seront importantes pour l’été. »
- Comment faciliter le pâturage hivernal ?
- Mise en place de 1,5km de chemins bétonnés.
- Pas de renouvellement de prairies depuis 7 ans, avec un objectif de 100% de prairies permanentes.
- 1 paddock par jour en hiver.
- Quelles conséquences du pâturage hivernal ?
« J’ai moins d’herbe en avril, mais le pic de pousse s’est décalé à mi-mai, ce qui me permet d’avoir une herbe au bon stade pour faire de l’enrubannage en mai-juin. »
Visite de la ferme de David Tregarth, Nord Ille-et-Villaine : sols variés sableux, limono-sableux ou limons, profonds en fond de vallée, très superficiels par endroits | 84ha | 58 VA + 60 génisses + 60 brebis |
Les animaux restent toute l’année à l’extérieur grâce au pâturage hivernal et au bale grazing. Ainsi, le foin n’est distribué que de fin décembre à fin février, voire moins, ce qui ne représente que 800kgMS distribués par an et par UGB. Le pâturage constitue au minimum 82% de la ration !
L’hiver, les vaches salers (en grande partie suitées) pâturent des paddocks d’une demi-journée avec des balles de foin déroulées au champ. La quantité de foin distribuée est prévue pour pouvoir constituer 100% de la ration, et les vaches se régulent en fonction de la quantité d’herbe à pâturer. La variable d’ajustement est donc la quantité de foin gaspillée et restituée au sol.
Le changement de paddock se fait automatiquement grâce à un boitier qui lève le fil à l’heure choisie.
Il arrive que certaines prairies soient abîmées lorsque les précipitations sont importantes. Les conséquences sont plus importantes si le matraquage est suivi d’une période de gel ou de sécheresse. Paradoxalement, il constate également que sur les terrains sableux les prairies récupèrent plus difficilement que sur les terrains limoneux moins portants. Selon l’éleveur, ces dégâts restent acceptables au regard des économies réalisées en bâtiments et en fourrages stockés. Les prairies trop abîmées sont laissées en stock sur pied l’été et pâturées en fin d’été et à l’automne : cela leur laisse le temps de se remettre en état.
Il est prévu que les brebis pâturent les prairies de fauche en l’hiver pour réaliser un déprimage et ramener de la fertilité. Le reste du temps, en dehors des agnelages, elles pâtureront avec les bovins.
